jeudi 20 mai 2010

Attendre le Saint Esprit ou le retour du Christ ?



Prédication donnée à Reims le 16 mai 2010

Lectures bibliques : Jean 14. 15-19 et Matthieu 24. 29-36

Il y a attente et attente

Les deux textes que nous avons entendus nous parlent d’attente. Celui de Jean nous dit d’attendre la venue de l’Esprit Saint. Celui de Matthieu, d’attendre le retour de Jésus Christ à la fin des temps. Dans les deux cas il s’agit d’une attente.

Dans le premier texte, Jésus dit à ses disciples : « je demanderai au Père de vous donner un autre défenseur pour qu’il soit avec vous pour toujours »

Ce défenseur s’appelle l’Esprit Saint, qui viendra effectivement le jour de la Pentecôte sous forme de langues de feu. Elles se sont posées chacune sur la tête des disciples, qui ont commencé à annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ à tous ceux qui les entouraient à Jérusalem.

Entre l’Ascension et la Pentecôte, les disciples sont dans l’attente. Ils sont en état de manque, car leur maître les a quittés. Ils sont orphelins de Jésus. « je ne vous laisserai pas orphelins ; je viens à vous leur avait-il promis. » Mais depuis la Pentecôte, et depuis notre baptême, nous savons que nous ne sommes pas orphelins, ni de Jésus Christ, ni de Dieu.

Notre soeur Flavie qui a été baptisée ce matin en a témoigné par son geste et par ses paroles. Dieu est là par l’Esprit.

Le 2ème texte , celui de Matthieu, parle d’une autre attente, d’une autre venue, celle de Jésus Christ à la fin des temps.

Juste avant la fin : la nuit

Que va-t-il se passer à la fin des temps ? Voilà qui nous laisse perplexes. Cette histoire de fin des temps soulève toutes sortes de questions plus ou moins oiseuses et sans réponse. Les savants nous disent que la vie sur terre connaîtra une fin certaine, dans quelques milliards d’années, par l’explosion du soleil. Mais il est fort probable que l’humanité se sera auto-détruite entre temps, ou se sera en partie transportée par fusée ultra-rapide dans d’autres systèmes solaires. Nous sommes dans la pure fiction, la pure élucubration.

La Bible, qui n’a aucune prétention scientifique, nous annonce une fin du monde caractérisée par des signes avant-coureurs : le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel. Ce sont de signes cosmiques qui ont une signification spirituelle : nous serons dans la nuit. Et c’est au plus profond de notre obscurité que Jésus Christ surgira. Jésus Christ qui est lumière viendra du milieu de la nuit pour rétablir une lumière éternelle sur toute chose.

Cela signifie en clair que la nuit n’aura pas le dernier mot.

Inutile de s'agiter

Ne cherchez pas à savoir quand cela se produira… personne ne le sait, pas même Jésus ! Ne prêtez aucune attention aux faux prophètes et autres Nostradamus Charlatanus qui proclament périodiquement la fin du monde. Mais retenez deux choses :

- nous attendons le retour de Jésus Christ

- nous ne savons pas quand il viendra.

Il est donc inutile de s’agiter. C’est ce que nous dit la parabole du figuier.

Observez le figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que les feuilles poussent, vous savez que l’été est proche. Autrement dit, tant que vous ne voyez pas ces signes, n’allez pas imaginer que le printemps arrive. Ne rêvez pas. Pas d’agitation avant que n’apparaissent les signes irrécusables de la fin.

Dans la tradition juive, le figuier symbolise les Ecritures Saintes. Pour comprendre les signes des temps et ce que Dieu prépare pour le monde, il ne faut pas trop se fier à tout ce que prédisent les soit-disant savants – d’ailleurs un vrai savant, un vrai scientifique n’a pas la prétention de prédire l’avenir – mais il est préférable de s’imprégner de la Parole de Dieu.


Et la Parole de Dieu nous dit en l’occurrence : soyez dans l’attente du retour du Christ, mais ne vous agitez pas en vain.

Agir et rester veilleur

Restez vigilants comme le guetteur qui attend le retour du roi. Restez éveillés et pleins d’espérance comme la femme du pêcheur qui attend le retour de son mari parti en mer.

Scrutez l’horizon comme le Père qui attend le retour du fils prodigue.

L’attente du retour du Christ ne doit en rien nous inquiéter, ou changer nos modes de vie, il doit seulement inscrire au fond de notre cœur une espérance paisible… l’antidote de la peur quand tout semble se dégrader autour de nous, l’antidote de la sinistrose quand on nous annonce un plan de rigueur et le gel de toutes les dépenses de l’Etat, l’antidote de la désespérance quand l’avenir semble bouché.

Ce qui n’empêche pas d’agir de manière utile, comme Luther à qui on a demandé : que ferez-vous, maître, si vous saviez qu’aujourd’hui est votre dernier jour ? « j’irai planter un pommier » a-t-il tranquillement répondu.

Chaque jour : s'attendre à l'inattendu

L’attente du retour du Christ est un état d’esprit difficile à décrire. C’est un peu comme si un beau matin, au lever du jour, une petite voix intérieure nous disait : « aujourd’hui, tu auras une bonne surprise. Une rencontre peut-être, un sourire, un signe dont tu te souviendras plus tard, et qui sera une petite pierre blanche sur ton chemin ».

Alors notre cœur et notre esprit est tout le jour dans l’attente de l’inattendu. A tout moment la porte peut s’ouvrir, et l’imprévisible arriver. Comme dans les récits de Pâques où le ressuscité surgit par surprise. N’importe quand. N’importe où. Ou bien dans le récit de la Pentecôte avec ses petites flammes insaisissables de l’Esprit de Dieu, Nous ne les saisissons pas, c’est elles nous saisissent.

Alors chaque instant de notre vie quotidienne prend une valeur nouvelle. Parce qu’à chaque instant l’Esprit de Dieu peut surgir et nous faire signe. Derrière chaque rencontre. Dans le sourire d’un bonheur ou la blessure d’un échec. Le Dieu qui s’en va est aussi le Dieu qui vient. Toujours à-venir. Toujours autre que ce que nous pensions. Chaque instant – l’instant même que nous vivons ici, peut devenir l’instant de cette rencontre.

L’attente de la Pentecôte ou l’attente du retour du Christ ont finalement la même couleur : elle est synonyme de disponibilité, d’espérance et d’ouverture à la fois.

Aucune situation n’est sans issue, contrairement à ce que pensent ceux qui veulent mettre fin à leur jour. La vie peut ressurgir, quand bien même elle serait en débris.

Même si l’obscurité s’étend sur le monde, nous espérons la lumière du Christ.

Car la nuit n’aura pas le dernier mot.

Amen

dimanche 16 mai 2010

Souffle sur ces os







Prédication donnée à Reims le 2 mai 2010. Puis à Chalons le 9 mai

Lecture biblique : Ezechiel 37. 1-12

Comprendre ce texte difficile

Le texte que nous avons entendu a de quoi nous donner des frissons dans le dos.
Le prophète déambule au milieu des ossements desséchés, qui s’entassent , innombrables, dans la plaine dévastée.
Les mots hébreux utilisés au v.2 suggèrent que le prophète doit littéralement escalader les ossements entassés pour se frayer un chemin.
Le lecteur est emporté avec le prophète dans sa marche, comme dans les vidéos en 3D, afin de vivre une scène digne des films d’épouvante.
Lorsque sur ordre de Dieu Ezéchiel prophétise sur ces ossements, nous assistons avec force bruitages et effets spéciaux, à la reconstitution par étapes d’êtres vivants.

Mettons à part l’aspect un peu macabre de cette vision, et demandons-nous quelle signification elle peut bien avoir. Quel sens lui donner aujourd’hui ?

Le contexte de l’exil

Examinons d’abord le contexte historique : quand Ezéchiel a eu cette vision, le peuple était en exil à Babylone. Le prophète lui-même était au milieu du peuple ; il regardait alentour et il voyait des hommes et des femmes au cœur desséché, ayant perdu tout espoir de revenir au pays. La plaine dévastée, ce sont ses contemporains. Les os, c’est leur âme, leur être intérieur, qui s’est endurci, qui a desséché, et a perdu toute vitalité. Le ressort est brisé, dirions-nous aujourd’hui.

Alors Dieu inspire le prophète pour qu’il proclame une extraordinaire bonne nouvelle : le peuple retournera au pays, il rebâtira le Temple et Dieu sera au milieu d’eux. En un mot, ils revivront. Cette vision est d’abord pour le peuple d’Israël, meurtri et abattu par 50 ans d’exil.

La mort n’aura pas le dernier mot

Mais ce texte n’est pas pour le peuple seulement, il est pour toute l’humanité. Les Pères de l’Eglise y ont vu l’annonce de la résurrection des morts à la fin des temps. Au son de la dernière trompette, tous les morts sortiront de leurs tombeaux et se rassembleront, innombrables, autour du Dieu vivant. Cette interprétation a du bon, car elle nous remplit d’espérance. La mort n’aura pas le dernier mot dans l’histoire de l’humanité.

Le rôle de prophète

Mais si nous regardons le texte de plus près, nous pouvons y trouver une autre interprétation, qui part de la question : quel est le rôle du prophète ? Comment Dieu agit-il à travers le prophète ?
Dans ce texte, il est clair que le prophète a un rôle déterminant. Son intervention se déroule en deux étapes : l’observation et l’action.

Observer en étant dedans

Tout d’abord il regarde en déambulant parmi les ossements desséchés - entendez, au milieu de ses contemporains au cœur desséché. Il marche, il regarde, il observe longuement ces êtres sans vie.
L’image habituelle qu’on a du prophète, c’est un homme qui monte sur une hauteur, ne serait-ce qu’un escabeau, et proclame à la foule qui l’entoure une parole forte venant de Dieu. Mais c’est d’abord un homme qui regarde la misère du monde, qui déambule parmi les exclus, les malades, les sans papiers, les sans abris. Mais aussi parmi ceux qui n’ont plus d’espérance, qui ne sont pas nécessairement les plus pauvres d’ailleurs. Le prophète d’aujourd’hui observe la sécheresse spirituelle de la plupart de nos contemporains, surtout dans les pays dits développés. Et il en est frappé, obsédé, tourmenté.
Et face à cette sécheresse, l’homme-prophète avoue son impuissance, comme Ezéchiel à qui Dieu demande : « fils d’homme, ces ossements revivront-ils ? « et lui de répondre « Toi, mon Dieu, tu le sais. »

Voilà donc une première caractéristique de l’homme-prophète : il regarde impuissant la vie se retirer de l’âme de ses contemporains. Il ne se retire pas du monde en l’observant de loin, il en fait partie, il est en plein dedans. Et il est peut-être un des rares observateurs à « voir » ce qui se passe (« voir » entre guillemets), à en être profondément touché et tourmenté.

Parler aux ossements

La 2ème étape, c’est la proclamation. « parle aux ossements » lui ordonne le Seigneur. Parle à tes contemporains, même s’ils ne sont pas en état d’entendre.
Avez-vous vu des ossements qui entendent ?
Le prophète ne fait pas du marketing, il ne va pas faire un tri entre ses interlocuteurs pour ne s’adresser qu’à ceux qui sont susceptibles de l’entendre et le comprendre. Il ne fait pas le tri entre les croyants et les incroyants. Il s’adresse à tous, cœur de pierre et cœur de chair, indifféremment. Et c’est le souffle de Dieu qui passera à travers lui, le tri se fera tout seul si je puis dire, mystérieusement.
Ce souffle n’est autre que l’Esprit Saint, qui a seul la capacité de mettre la vie là où il y a la mort, l’espérance là où il y a le désespoir, le désir de Dieu là où il y a l’autosuffisance.

La collaboration entre l’homme et Dieu

« Viens des quatre vents, dit le prophète, viens, Esprit, souffle sur ces morts, et qu’ils vivent ! »
Il y a comme une synergie, une coopération, entre Dieu et le prophète, une répartition des rôles : Dieu n’agit plus seul comme il l’avait fait au temps de la Génèse pour créer Adam à partir de la poussière, en le modelant et lui insufflant la vie en soufflant dans ses narines, Dieu agit par l’intermédiaire des hommes.

Tous prophètes ?

Ces hommes, c’est qui ? c’est vous, c’est moi. Le rôle de prophète n’est pas réservé à quelques héros-martyrs comme Bonhoeffer ou Martin Luther King. Il concerne tous les témoins qui veulent bien partager leur foi. Du ministère de prophète au ministère de témoins dans l’Eglise, n’ya-t-il pas continuité ?
Certes, nous ne sommes pas tous « appelés » à être prophètes dans l’Eglise, mais nous avons tous quelque chose à partager avec ceux que nous fréquentons : ne serait-ce que notre confiance en Dieu.
Face à celui qui désespère, n’avons-nous pas, de la part de Dieu, une parole d’espérance à prononcer ? face à l’affligé, une parole de consolation ? Face à celui qui se sent aimé de personne, n’avons-nous pas à lui dire : « il y en a un là haut qui te connaît par ton nom et te veut du bien » - comme nous l’avons entendu tout à l’heure pour la petite Agathe qui a reçu le baptême ?
Au fond, c’est cela aussi être prophète, ne pas garder pour soi le trésor que Dieu nous a confié. Oser le partager en Eglise avec nos frères et sœurs dans la foi, oser aussi le partager avec les collègues de travail, ce qui est déjà plus difficile, je sais. Avec les voisins, amis et membres de la famille.

Prophètes impuissants

Et nous le faisons tout en nous reconnaissant impuissants. Combien pèsent nos arguments pour convaincre ? Devant celui qui vient de perdre un être cher, que peuvent bien faire nos paroles de consolation ?
Oui, comme Ezechiel, nous nous savons impuissants à produire par nous-mêmes l’espérance, la paix et la consolation désirée.

Pourtant Dieu compte sur nous. C’est avec nous, les baptisés, les témoins au jour le jour,
qui déambulons quotidiennement dans la vallée desséchée,
c’est avec nous que Dieu soufflera sur les braises de la vie,
et produira l’espérance, la paix et la consolation,
dont le monde a tant besoin.

Amen