Prédication donnée à Reims le 19 juin 2010
Lectures : Exode 15. 22-25 et Luc 7. 36-50
Interruption de séance
Imaginez qu’à l’instant où je vous parle, surgisse du fond du Temple un individu habillé de manière étrange, la tête rasée sauf au milieu du crâne et tirant deux chiens au bout d’ une grosse chaine. Il s’agenouille devant l’autel et crie d’une voix forte : Dieu est bon, j’aime Jésus ! puis il se tourne vers l’assemblée en répétant, les bras ouverts : Dieu est bon, j’aime Jésus !
Murmures dans l’assemblée… les uns se disent : ici les chiens sont interdits ! d’autres : quel sans-gêne ! ou encore : cela ne se fait pas chez nous de s’agenouiller devant la table de communion ! et il y aurait bien d’autres réactions…
Peut-être quelqu’un se dirait aussi : il a raison cet homme quand il dit : Dieu est bon, et Jésus est digne d’être aimé ! Et ça, au moins, je le retiendrai, alors que j’aurai vite fait d’oublier le sermon du pasteur !
Même interruption de séance dans le passage de l’Evangile que nous avons lu ce matin : Jésus est en train de partager un repas chez Simon le pharisien, et voilà que surgit une femme de mauvaise vie, une prostituée, qui s’agenouille au pied de Jésus. Tout en larmes, elle essuie les pieds de Jésus avec ses cheveux et elle verse du parfum sur ses pieds. Murmures des convives : qu’est-ce que c’est que cette prostituée qui entre sans autorisation, et qui verse du parfum sur les pieds de Jésus ! …et Jésus lui-même qui se laisse faire ! c’est indigne de lui. Et le maître de maison qui se dit en lui-même : Jésus ne sait pas que c’est une prostituée, ce n’est donc pas un prophète.
La femme n’a rien dit. Elle n’a pas dit pas «Dieu est bon, j’aime Jésus », mais elle le pense dans son cœur, elle l’exprime par ses gestes. …
Au milieu des murmures, cette femme exprime un amour sans limite, une reconnaissance infinie pour ce que Dieu a fait dans son cœur. On voudrait bien en savoir plus sur son passé, ses rencontres avec Jésus, mais le texte de Luc ne le dit pas. Jésus, lui, le sait et à travers une petite parabole (que nous n’allons pas étudier ce matin) il explique que cette femme a été pardonnée d’un grand péché. Et ses larmes, ses gestes d’amour envers Jésus sont d’autant plus intenses qu’elle s’est sentie libérée d’un plus grand poids.
La dernière phrase de Jésus c’est « va en paix, ta foi t’a sauvée. »
La foi de cette femme s’exprime non par des paroles, comme dans l’exemple de l’intrus du Temple, mais par des larmes et du parfum.
Les larmes
Les larmes peuvent avoir diverses origines. Il y a toutes sortes de larmes. Qui n’a jamais pleuré dans sa vie ? il y a des larmes de tristesse, de colère et de frustration, mais aussi des larmes de joie. Il y a des larmes de crocodile, feintes, et des larmes cachées et sincères.
Ici, je pense que cette femme a versé des larmes de repentance. En s’approchant de Jésus, elle mesure tout le gâchis de sa vie, toute l’ampleur du désastre de son existence brisée.
Les larmes de repentance peuvent surgir aussi lorsqu’on prend conscience d’une lâcheté, d’une infidélité que l’on a commise, et on se tourne vers Dieu d’un cœur brisé. Comme l’apôtre Pierre qui a renié trois fois Jésus la nuit de son arrestation, et qui s’est mis à pleurer après le chant du coq. Il sortit pour ne pas montrer ses larmes. C’est dans la solitude de la nuit qu’il trouve refuge pour les épancher, avec Dieu seul pour témoin. Pleurer ses péchés se fait devant Dieu seul, au plus profond des ténèbres.
Pour moi, cette femme représente toute la misère du monde. Les souffrances, les angoisses, les culpabilités… quel fardeau ! les familles brisées par l’extrême pauvreté, ou par l’alcool.
Et au cœur de cette misère s’exprime la repentance de ceux qui ont pris conscience de leur part de responsabilité dans ce malheur, et qui se retirent dans un lieu secret et demandent pardon à Dieu.
Vous connaissez peut-être l’expression : jeter son fardeau au pieds de Jésus. On dit aussi jeter son fardeau au pied de la croix. Eh bien, c’est ce qu’a fait cette femme en versant ses larmes sur les pieds de Jésus.
Le parfum
Elle a aussi versé du parfum.
A quoi sert le parfum sinon de répandre une agréable et apaisante odeur alentour ? (Peut-être avez-vous remarqué que la feuille de culte avec les annonces que vous tenez dans les mains sent bon. Cette petite feuille répand alentour le parfum des collines provençales, la lavande.)
Dans l’Ancien Testament, le parfum faisait partie des rites pratiqués par les prêtres. Le parfum et la fumée montaient vers le ciel en signe d’offrande ou de demande de pardon. Aujourd’hui, le parfum est l’objet d’un commerce très lucratif. Dans l’industrie du parfum, on recrute des nez. Savez-vous qu’il faut 7 ans pour former un « nez » ?
Revenons au contexte de notre récit. A l’époque de Jésus le parfum était utilisé pour embaumer les corps. La femme était-elle en train de présager la mort de Jésus ? C’est possible.
On peut penser aussi à l’onction royale, comme le pratiquaient les prophètes pour désigner les futurs rois. Par son geste, la femme oint Jésus Christ. C’est étonnant, car Jésus est déjà oint. Puisque c’est le Christ. Le mot christ veut justement dire oint en grec. La femme a oint l’oint. (l’expression n’est pas très heureuse)
Comment comprendre ce geste ? Il signifie que Jésus est le messie, le futur roi des juifs. Non pas le roi de gloire, mais le roi qui va mourir sur la croix. La femme oint un roi, non pas avec de l’huile, comme cela se faisait normalement, mais avec le parfum de l’embaumement. Cette femme accomplit un geste prophétique. Pendant ce temps là, Simon le pharisien murmure dans sa barbe que Jésus n’est pas prophète, et que cette femme n’est qu’une prostituée. Il a tout faux, elle a tout juste.
Le parfum a aussi pour caractéristique de se répandre dans l’air et de remplir toute la pièce. Le parfum se répand alentour et se communique à tous ceux qui ne comprennent ni par les paroles, ni par les yeux, mais par l’odorat. C’est un témoignage olfactif qui touche en profondeur. Nous l’avons évoqué il y a quelques mois lors des cultes sur les cinq sens. Oui, on peut témoigner par le parfum. Comme le dit Paul de manière allégorique dans sa 2ème lettre aux Corinthiens : « Grâce soit rendue à Dieu, qui nous entraine toujours dans sa victoire, dans le Christ, et qui, par nous, répand en tout lieu le parfum de sa connaissance ». (2 Cor 2. 14)
Des larmes au parfum
Pour finir, on peut se demander quelle relation il peut y avoir entre les larmes de la repentance, et le parfum du témoignage.
Entre les deux, il y a une étape très importante, c’est l’expérience d’avoir été pardonné, gracié, aimé par Dieu. Il ne faut pas la sauter cette étape. Elle est le plus souvent secrète, personnelle, intime, mais absolument nécessaire dans la vie du croyant.
Les Pères du désert, qui méditaient nuit et jour sur l’âme humaine, rapportent ce phénomène étonnant que parfois les larmes de tristesse se transforment en larmes de joie. Je cite l’un d’entre eux, Jean Climaque, qui vivait au 7ème siècle, et qui s’était retiré au pied du Mont Sinaï: « il y a des jours où nos larmes se mettent à couler toutes seules, d’une douceur telle que nous en sommes tout attendris et pacifiés ». Un phénomène aussi merveilleux ne peut avoir qu’une seule explication : ces larmes-là sont provoquées par Dieu et elles attestent qu’il nous a visités de sa propre initiative, même si nous ne l’avons pas prié !
Un jour un pèlerin rend visite à Jean Climaque et lui demande : Père, j’ai demandé pardon à Dieu pour mes péchés. Mais comment puis-je savoir que Dieu m’a effectivement pardonné ? Et le Père de répondre : je sais que je suis pardonné lorsque mes larmes amères deviennent douces.
Seul Dieu peut transformer l’aigre en doux, comme à Mara, où le peuple d’Israël au désert s’était arrêté pour boire car il avait très soif. Dieu a transformé l’eau amère en eau douce.
C’est alors qu’après les larmes, et parfois même au milieu des larmes, nous sentons monter en nous une joie profonde et paisible, et que nous pouvons témoigner au monde combien le Seigneur est bon.
C’est alors que nous pouvons répandre comme un parfum, la bonne odeur du Dieu de Jésus Christ.
Amen
1 commentaire:
Cette note a la bonne odeur de la bonne nouvelle, mon souhait est qu'elle se diffuse et persiste... Merci.
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