Prédication de Pâques à Epernay le 4 avril 2010
Lecture biblique : Marc 16, 1-8
Trois tableaux
Nous pourrions décrire ce qui s’est passé le dimanche de Pâques à l’aide de trois tableaux. Celui qui les a peints s’était posté à 20 mètres environ du tombeau, dans le jardin de Joseph d’Arimathée. Il faisait encore nuit sous le ciel étoilé. A sa droite apparaît une allée bordée d’oliviers et d’arbousiers. A sa gauche le vallon étroit et sombre s’ouvre sur la ville de Jérusalem endormie. Le peintre a installé son chevalet et pris ses pinceaux.
1er tableau : l’entrée du tableau ressemble à une grotte creusée dans le rocher, mais elle est fermée par une grosse et lourde pierre ronde. Tout est silence et obscurité.
Une lumière jaune vif entoure la pierre, comme un liseré brillant, révélant que l’intérieur de la tombe est vivement illuminé.
2ème tableau : L’aurore s’est levée dans le jardin. Tiens, la pierre a été roulée sur le côté. A cette distance il est difficile de distinguer ce qu’il y a à l’intérieur. Voici trois silhouettes de femmes qui s’avancent dans l’allée à droite en direction du tombeau. Elles ont le visage baissé.
3ème tableau : il fait jour. L’entrée du tombeau n’a pas changé d’aspect, mais les trois femmes retournent en courant sur leurs pas.
Le peintre, témoin oculaire de cette scène étrange, n’a pas laissé de trace de ses observations.
Et les femmes ? celles qui ont vu et entendu des choses surprenantes, qu’ont-elles fait ? pendant un temps, elles n’ont rien raconté à personne, tellement elles étaient troublées, mais en définitive, elles ont bien tout raconté aux disciples.
L’évangile de Marc que vous avez entendu se termine, dans sa version courte, de façon abrupte, mais dans sa version longue, plus tardive dans sa rédaction, il reprend les témoignages des autres évangiles.
Il n’y a pas de doute, Jésus est bien apparu aux disciples en Galilée comme il l’avait promis. Thomas l’incrédule, a bien fini par se rendre à l’évidence que Jésus était là, en chair et en os devant lui, et il a cru.
Mais l’Evangile de Marc est particulièrement sobre pour décrire l’événement qui est à l’origine de la foi chrétienne.
Il est étonnant que ce qui fonde notre foi soit si ténu, si mystérieux. Car si on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il n’y a pas dans les Evangiles d’explication au triomphe de Pâques, nous n’avons aucun récit dans aucun évangile relatant la manière par laquelle Jésus est passé de la mort à la vie.
Il s’est passé quelque chose, c’est certain. La résurrection n’est pas une rêverie, une invention des hommes. Quelque chose de précis, de tangible est arrivée. Mais ayons l’humilité de reconnaître que nous ignorons la nature des faits. Ce que nous savons avec certitude, c’est que les disciples, hommes et femmes tout autant, ont témoigné d’avoir vu le Christ vivant, le Christ ressuscité, ils ont été transformés dans leur cœur et leur conscience, et c’est sur la base de cette expérience qu’ils se lancèrent dans la proclamation de la bonne nouvelle. Avec l’audace et le courage que nous savons.
Dans son extrême sobriété, l’Evangile de Marc nous donne quand même des indications très précieuses sur ce qui s’est passé. En particulier sa manière de décrire les mouvements. Comment les femmes avancent vers le tombeau, comment elles lèvent les yeux vers la pierre roulée, comment elles entrent dans le tombeau vide, comment elles en ressortent… Le peintre avec ses trois tableaux a fait ce qu’il a pu pour décrire la dynamique de cette scène dans le clair – obscur du matin de Pâques. Pour bien faire, il lui aurait fallu une caméra. Et même, une caméra à infrarouge.
Tout est mouvement
Mais le récit de Marc dans sa brièveté, nous en dit plus : il y a tout qui bouge dans ce récit.
Le soleil se lève. La pierre est soulevée, roulée. Les femmes marchent en pensant à la façon dont elles vont bien pouvoir rouler la pierre. On les imagine marchant nerveusement, la tête baissée, discutant entre elles, un peu enfermées dans leurs soucis immédiats. Devant la pierre roulée, elles lèvent les yeux : encore un verbe de mouvement, associée à la surprise, l’étonnement, l’incompréhension. Déjà la peur qui les envahit. Puis elles entrent dans le tombeau.
Pour pénétrer dans un tombeau, qui est comme un trou dans le rocher, il faut forcément baisser la tête, peut-être même se courber. Pour entrer dans l’Eglise de la nativité (ou la résurrection) à Bethléem, il faut baisser la tête, tellement la porte est basse.
Et voici que les femmes ont une rencontre avec l’ange, ce jeune homme vêtu de blanc. Encore des verbes et des préfixes de mouvement dans ce qu’il dit aux femmes : « ne vous effrayez pas, vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s’est réveillé. » Là le jeune homme fait un jeu de mot : réveillé, en grec, signifie aussi ressuscité. Un mouvement vers le haut.
« Allez dire à ses disciples qu’il vous précède en Galilée » Précéder, c’est marcher devant. Avancer en tête, ouvrir un chemin, aller en éclaireur sur une voie inconnue pour faciliter la marche de ceux qui suivent.
Oui, ça bouge dans le texte. Et aussi dans le cœur de ces femmes. Car elles sortent aussitôt du tombeau.
Après le mouvement d’entrée, le mouvement de sortie. Elles s’enfuient même, effrayées. Le mot grec pour dire leur effroi a la même racine que le mot extase, qui n’a rien à voir avec la sérénité ou l’allégresse, mais qui évoque plutôt la sortie de soi-même, le bouleversement intérieur.
La rencontre se fait dans l’obscurité
Quel enseignement pouvons-nous tirer de tous ces mouvements extérieurs et intérieurs, qui ont présidé à la naissance de la foi chrétienne ?
Il est étonnant de constater en premier lieu que la rencontre avec l’ange se fait à l’intérieur du tombeau. Pas dans le jardin, pas à l’entrée en plein air, mais dans le creux sombre et secret d’un tombeau.
Pourquoi faut-il que la Parole de Dieu soit donnée dans ce lieu précis ? Pourquoi pas au sommet d’une montagne comme pour Moïse au Mont Sinaï ? Non, dans le creux, dans le lieu profond, dans l’humble lieu qui évoque la mort… voilà que la parole de Dieu nous rejoint là. Pourquoi ?
Peut-être a-t-il fallu d’abord baisser la tête pour y entrer, faire acte d’humilité, comme on rentre en soi-même à certains moments de notre existence.
Cela me rappelle le fils prodigue, qui loin de son père, au fond de sa misère et en compagnie des cochons qu’il gardait, comment à ce moment de creux de son existence, il est entrée en lui-même. Et c’est là qu’il a décidé de retourner vers le Père.
Ce n’est pas au sommet de notre gloire, ce n’est pas quand les affaires vont bien que Dieu nous rejoint. Ce n’est pas quand nous gravissons la marche du podium de la réussite sociale, que Dieu se met à nous parler au cœur. C’est dans l’humble lieu qui dit notre mortalité, notre finitude, que Dieu se manifeste.
Nous avons là une première bonne nouvelle : Dieu nous rejoint dans notre nuit, alors que nous sommes face à notre mort, confronté à notre faiblesse. Combien de fois je suis témoin de cela, lors de mes entretiens pastoraux : c’est souvent au creux de notre misère que la présence de Dieu se fait sentir. Le romancier roumain Pietru Dimitriu raconte comment il a reçu la lumière de la foi au fond de sa prison, enchaîné, méprisé et torturé par les gardiens communistes. Au fond du trou, c’est le cas de le dire, il a reçu la visite de l’ange.
N’ayez pas peur
La 2ème bonne nouvelle, elle est toute entière contenue dans ce que l’ange a déclaré aux femmes, en ce matin de Pâques. Quel fut son message ? « N’ayez pas peur, a-t-il déclaré, celui que vous cherchez est vivant, il est ressuscité »
Voilà en condensé le message central de la foi chrétienne.
D’ailleurs, nos frères Juifs reçoivent à Pâques, à leur Pâque, un message qui y ressemble : Dieu a libéré le peuple de l’esclavage d’Egypte. Là aussi il y a du mouvement et des bouleversements. Le peuple traverse la mer des joncs à pied sec. Eux aussi ont peur. Nous l’avons lu dans l’Exode : ils ont peur de tout ce qui leur arrive : les chars Egyptiens sont à leur trousse. Et les colonnes d’eau à droite et à gauche, le vent, le désert qui les attend, la marche vers l’inconnue.
Le parallèle avec le récit de Marc ne s’arrête pas là. Le Dieu de Moïse précède le peuple dans sa marche dans le désert avec la colonne de feu la nuit et la nuée pendant le jour. De même pour les femmes qui sortent du tombeau, c’est Jésus qui les précède en Galilée. Il leur indique la route à suivre.
Il nous précède
Voilà la troisième bonne nouvelle de Pâques, frères et sœurs, c’est que Jésus nous précède sur la route. Il ne suffit pas de croire que Jésus est vivant quelque part dans le monde. Mais la bonne nouvelle de ce matin, c’est que Jésus nous précède, chacun, dans notre Galilée, c'est-à-dire dans notre vie quotidienne. La Galilée, pour les disciples, c’est le retour à la vie ordinaire, après les trois années extraordinaires en compagnie de leur maître. Le maître n’est pas au tombeau, il les précède là où ils sont, dans leurs jours de malheurs, et dans les jours de bonheur.
Il y a un message vibrant que nous recevons ce matin : il nous précédera. Nous ne serons plus jamais sans lui, plus jamais seuls avec nous-mêmes, avec notre travail, notre vie et notre mort. Le ressuscité sera avec nous. Voilà le message de Pâques. Le Dieu mystérieux qui nous apparaît souvent si énigmatique dans la vie et dans la mort est maintenant présent parmi nous en Jésus Christ comme un ami et un frère. Pâques est dorénavant la fête qui nous libère pour une vie dans la joie.
Amen