Exode 34. 4-9, Ezech. 16. 1-6, Luc 7. 11-16
Pendant que Italiens pleurent les victimes des tremblements de terre, que les guerres en Syrie, Irak, Yemen, et Ethiopie continuent de détruire des familles et gonflent
les camps de réfugiés…,
je souhaite vous parler de la
tendresse de Dieu. Oui, la tendresse de Dieu.
Quand on cherche désespérément un
signe du Royaume de Dieu sur terre, et qu’on a du mal à le trouver, on peut au
moins se tourner vers la Bible pour l’y trouver.
De la tendresse de Dieu, la Bible
n’est pas très loquace. Elle nous parle un peu de tendresse, mais pas mal de
violence et de guerre.
Avez-vous remarqué comment sont
fabriqués les tapis ? Si vous suivez les fils de couleurs, par exemple le
fil rouge, qui apparait le long de la trame disparait un peu plus loin, puis
réapparait quelque cm plus loin. Mais si vous retournez le tapis, vous vous
apercevez que c’est le même fil qui en disparaissant est passé sous le tapis,
pour ressortir après. Il n’y a pas de discontinuité, malgré les apparences.
C’est la même chose pour la
Bible : il n’y a pas de discontinuité entre l’AT et le NT. Prenons par
exemple le fil rouge de la tendresse de Dieu. Oui, la tendresse de Dieu ! Cette
expression peut surprendre. Elle
apparaît dans certains passages de l’AT, puis disparaît pour laisser place à la
colère de Dieu, puis réapparaît à nouveau dans le NT. Un peu comme le fil dans
la trame du tapis.
Dieu se révèle à Moïse
Le premier passage de l’Ancien
Testament, dans le livre de l’Exode, nous raconte comment Dieu se révèle à
Moïse. La scène se déroule sur le mont Sinaï. Le texte précise que Dieu descendit dans la nuée et vint se
placer auprès de Moïse. C’est une façon de dire que Dieu s’est révélé à
Moïse dans l’intimité. Moïse était seul sur la montagne. Et Dieu s’est approché
avec tact et délicatesse, tout enveloppé de sa nuée.
Et c’est dans l’intimité d’une
confidence que Dieu révèle qui il est : il
proclama lui-même son nom, nous dit le texte. Cela donne à ce texte une
importance considérable : rendez-vous compte : Dieu lui-même prend la
parole et révèle à Moïse son nom, c’est à dire qui il est !
Il y a des milliers de livres et
des millions de pages de théologie qui tentent de cerner qui est Dieu, et voilà
que Dieu est en train de dire à un homme qui il est, en une seule petite
phrase : et cette petite phrase, la voici : « Mon nom est
l’Eternel, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, riche en bonté et
en fidélité ».
C’est la 2ème fois que
Dieu se révèle à Moïse. La 1ère fois, c’était devant le buisson
ardent, lorsqu’il lui a dit : je
suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de
Jacob. Et il avait ajouté : mon nom est : je suis celui que je suis. Avouons-le, cela reste un peu
énigmatique.
Cette fois-ci, sur le mont Sinaï,
Dieu en dit un peu plus sur ce qu’il est à l’égard des hommes : ce n’est
pas un Dieu dur et sévère, mais un Dieu tendre et lent à la colère.
Je retiens le mot
« tendre ». Examinons d’un peu plus près ce que signifie pour nous la
tendresse de Dieu.
Le deuxième texte de l’AT, tiré du
prophète Ezéchiel, nous en donne un autre éclairage. C’est un passage étonnant,
peu connu, et même assez dur à entendre.
« A ta naissance, au jour où
tu es née, ton cordon n’a pas été noué, tu n’as pas été lavée dans l’eau pour
être purifiée… » C’est Dieu lui-même qui s’adresse à Jérusalem, à travers
la bouche du prophète. Jérusalem, ou le
peuple de Dieu, est comparé à un nourrisson qui a été abandonné par ses
parents naturels, qui n’a même pas été lavé ni enveloppé de langes, et qui a
même été jetée dans les champs pour être dévoré par les corbeaux ! Il est
en train de mourir, là, gigotant dans son sang. « nul n’a posé sur toi un
regard de pitié pour te faire l’une de ces choses par compassion »…quelle
horrible démarrage dans la vie pour un enfant !
Mais Dieu est passé par là, il a
vu cet enfant abandonné, et il a accompli tous les gestes d’une mère :
nouer le cordon ombilical, laver, frotter avec du sel, envelopper de langes, et
nourrir au lait maternel. Le texte ne le dit pas explicitement, mais c’est
sous-entendu. Il y a comme une émotion toute maternelle qui transparaît à
travers ces lignes.
Comment parler de la tendresse de Dieu ?
Il y a deux écueils qu’il faut
éviter quand on parle de la tendresse de Dieu :
-
le premier, c’est le sentimentalisme à l’eau de
rose. La tendresse est alors vue comme de la gentillesse un peu mièvre et
finalement sans effet sur l’autre. Or la tendresse de Dieu, nous le verrons, a
une force vitale, une puissance de transformation hors du commun.
-
Le deuxième, c’est de refuser d’envisager que
Dieu puisse avoir des émotions. Et par conséquent, puisque la tendresse est une
émotion, Dieu ne peut pas avoir de la tendresse à notre égard, ce n’est qu’une
vue de l’esprit, une projection de l’homme sur Dieu, un anthropomorphisme.
Entre ces deux écueils se tient
une vérité de ce qu’est Dieu pour nous, et que nous pouvons qualifier de
tendresse.
Le mot tendresse
Qu’est-ce au juste que la
tendresse ? Si on fait une recherche d’image autour de ce mot sur
Internet, on trouve un enfant contre la
joue de sa mère, un chaton qui semble faire une bise à un renard, une mouette au bec
impressionnant et son petit.
Nous remarquons que le fort prend d’infinies
précautions pour ne pas blesser le faible. La tendresse est une relation
asymétrique entre deux êtres, caractérisée par une proximité respectueuse. Elle
exclut toute forme de possessivité ou de condescendance.
La tendresse est une émotion
proche de la compassion, qui le plus souvent se traduit par un geste. Un
regard, une caresse, un contact selon les situations, et qui semblent dire à
l’autre : tu es précieux pour moi, mon cœur est attendri par ta présence,
et je désire te faire du bien.
Même dans nos paroisses
protestantes réformées, réputées pour leur austérité, il arrive que la
tendresse s’exprime librement, lorsque deux frères dans la foi s’embrassent par
exemple.
Le geste de tendresse n’est pas
calculé, il nous échappe, il est nature, il est gratuit. Et l’autre le reçoit
comme tel.
Revenons à la Bible. Le fil rouge de la tendresse de Dieu apparaît
à plusieurs endroits dans la trame de la Bible. Le mot tendresse, en hébreu réhèm,
évoque les organes internes, et en particulier ceux de la femme. Cela bouscule
notre vision traditionnelle de Dieu. Dans Jérémie, Dieu frémit dans ses
entrailles (encore le mot « réhèm ») pour son peuple qui souffre. Dans
Osée, Dieu est comparé à une femme qui porte son enfant contre sa joue.
Quel contraste avec l’image du
père fouettard que l’Eglise a colportée pendant des siècles, en particulier en
Occident !
La force de la tendresse
La tendresse n’a rien d’une
mièvrerie, car elle possède une force qui peut surmonter tous les obstacles.
Herman Hesse a écrit : La tendresse est plus forte que la dureté, l'eau est plus forte que le rocher, l'amour est plus fort que la violence.
La tendresse
manifestée par Jésus Christ a une force incroyable.
Elle est capable de réveiller
un mort !
Selon notre
texte de l’Evangile de Luc, Jésus rencontre un jour une veuve dans un village
du nom de Naïn. Elle vient de perdre son fils unique.
Quand Jésus voit
cette femme marchant à côté du cercueil de son fils, il est ému aux entrailles,
nous dit le texte. Le mot en grec signifie « frémir dans ses
entrailles », comme dans l’AT. Avec
une infinie délicatesse, Jésus va regarder cette femme et lui dire :
« ne pleure pas ! ». Non pas avec dureté ou agacement, mais avec
douceur. Puis il touche le cercueil.
Encore un geste de tendresse.
Et Il parle au
défunt de telle manière qu’il ressuscite : Jeune homme, je te le dis, lève-toi !, puis il remet l’enfant
à sa mère, ce qui est encore un geste de tendresse pour consoler cette veuve.
Il y a dans la
tendresse divine à la fois une infinie douceur, et une force incroyable, une
puissance capable de ressusciter un mort.
Dans le texte d’Ezéchiel
aussi, la tendresse de Dieu suscite la vie. L’Eternel, après avoir jeté un
regard de compassion sur le nourrisson abandonné qui gigotait dans son sang, se
penche sur lui et lui dit par deux fois : « vis ». Une parole, un
commandement même, qui produira ce qu’elle commande, à savoir la vie pour cet
enfant.
La caresse de l’âme
Oui, un geste ou
une parole de tendresse peut donner la vie. Cela me fait penser aux personnes
que l’on arrive à sauver du coma par les caresses et des paroles aimantes à
leur égard. Cela peut prendre beaucoup de temps, parfois, mais les résultats
sont là. C’est ce qui est arrivé à une maman que j’ai connu à Reims, et qui a
eu un accouchement très difficile. L’enfant est né normalement, mais la mère
est restée dans le coma presque 3 mois. Chaque jour son mari venait la voir,
lui prendre la main, lui parler. Puis elle s’est réveillée. Quelle joie pour
elle de pouvoir serrer son enfant dans ses bras !
La tendresse qui
donne la vie ! Pourquoi ? parce qu’elle touche l’âme.
Heureux celui
qui connaît la tendresse de Dieu car elle est une caresse de l’âme.
Les textes que
nous avons lus ce matin nous donnent une révélation qu’il faut prendre au
sérieux : notre Dieu est un Dieu de tendresse et de miséricorde. Il sait
que nous en avons terriblement besoin. C’est pour cela qu’il a envoyé son fils,
selon ce que nous allons dire dans un instant au moment de la Sainte
Cène : Dieu a tellement aimé le
monde….
Alors
laissons-nous toucher par Dieu, n’ayons pas peur de son regard ni de son
contact.
Car son toucher
ne blesse jamais, comme le fait parfois le toucher des hommes.
Sa parole
n’enferme jamais comme le fait parfois la parole des hommes.
Sa parole, son
geste, nous rejoint là où nous sommes, dans notre vulnérabilité et notre
faiblesse. Dans notre mort même.
Elle nous
touche, et par sa tendresse toute puissante, elle nous fortifie, nous console
et peut même nous ressusciter.
Elle est le fil
rouge, parfois visible, parfois invisible, de la trame de notre vie.
Amen